L'Oeuvre inachevée
Présentation du volume

 

Pourquoi des œuvres restent-elles inachevées? Au XVIIIe siècle, par exemple, les raisons en sont fort diverses. Difficultés avec la censure, incertitude quant à la réaction des publics font par exemple de la fiction narrative un domaine expérimental très sujet à l'inachèvement, aussi actif que méprisé. Mais plus profondément, l'inachèvement naît des vicissitudes de la création comme dans La Fanfarlo de Baudelaire. L'œuvre inachevée s'apparente alors aux projets abandonnés. Parfois un même mouvement créateur se transporte, des Mémoires d'un fou, à Novembre et à la première Education sentimentale chez Flaubert. Ces derniers textes sont-ils des étapes inachevées d'un ouvrage postérieur ? La question se lie donc à la génétique des textes. Cette interruption peut être inscrite au cœur même de l'entreprise de l'écrivain, dans la nature même du sujet, comme dans la création romanesque marivaudienne.

L'inachèvement, scandaleux pour l'idée aristotélicienne d'une œuvre reposant sur une structure accomplie, ayant un début et une fin, est donc à étudier selon le mécanisme irréductiblement singulier de chaque interruption, mais aussi selon les cadres génériques historiquement datés, plus ou moins contraignants et selon les critères de valeur que les créateurs et les lecteurs contemporains peuvent appliquer à ce blocage. Celui-ci est, à l'évidence, différent selon que ce texte a fait l'objet ou non d'une publication incomplète.

Une œuvre incomplète n'est-elle pas en outre paradoxalement une œuvre qui dit clairement toutes ses dimensions: intentionnelle et indépendante des intentions de son auteur, qui se sont arrêtées, fermée comme projet de construction et ouverte, liée aux autres œuvres construites comme elle sur diverses problématiques et thèmes, questions solubles ou insolubles qui lui sont sous-jacentes et où elle joue un rôle positif, plus indécidable donc que toutes et livrée à toutes les lectures qu'elle peut susciter par l'exercice même de ce qui la bloque.

La notion d'inachèvement enfin n'est pas simple. Il faut distinguer, dans une œuvre, narrative, par exemple, clôture de l'" histoire ", organisation structurée sous-jacente, de nature très diverse, dénouée de façon ouverte ou fermée, et clôture rhétorique de la " narration ", refusée par tant d'œuvres du XXe siècle. On peut admettre encore l'idée d'une " clôture idéologique ", plus souterraine, cohérence philosophique ou réponses données aux questions posées par l'artiste. La notion d'inachèvement n'est pas un concept univoque. Les questions sont donc nombreuses et touchent tous les siècles sans doute différemment. Nous ne prétendons pas être exhaustive...

Annie Rivara Université Lyon 2

 


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